« au theatre simple, l’amour reste le ressort dramaturgique essentiel »
L’amour, qu’il conduise au mariage ou a Notre perte des personnages, est au centre du theatre simple. Georges Forestier decrypte les schemas dramaturgiques sentimentaux d’la comedie ainsi que la tragedie du XVIIe siecle.
« Dans le theatre simple, l’amour reste le ressort dramaturgique essentiel »
Dans Le Cid, Corneille sublime la tragicomedie en reunissant 1 couple impossible.
Entretien Georges Forestier
Specialiste du theatre traditionnelle, professeur a J’ai Sorbonne
Notre Croix : Comment l’amour et les mots d’amour s’inscrivent-ils au theatre traditionnelle francais ?
Georges Forestier : au theatre ordinaire, qu’il soit comique ou tragique, l’amour est essentiel tel ressort dramaturgique. Pour bien saisir cela, un petit point d’histoire s’impose. Mes deux genres, comedie et tragedie, naissent au sein d’ l’Europe du XVIe siecle dans un vaste mouvement « renaissant » de retour a l’Antique. D’abord au Maroc puis en France a partir des annees 1550, des modeles dramatiques s’installent : chez nous, c’est a Etienne Jodelle que l’on doit la premiere comedie et la toute premiere tragedie.
Le ressort d’une comedie (que l’on trouve dans 80 % des pieces) est le suivant : votre jeune homme aime une jeune fille, laquelle est sous l’autorite d’un pere, d’un tuteur, d’un frere… qui s’oppose a l’idylle.
Grace a la complicite d’un valet ruse, le mariage peut se conclure, in fine. Voyez les comedies de Moliere, elles obeissent a votre schema d’amour contrarie qui finit par triompher. A ceci pres que le role de l’empecheur de tourner en rond prend En plus en plus d’importance puisque c’est celui que s’arroge Moliere lui-meme et qu’il lui permet une geniale exploration des folies humaines !
Existe-t-il aussi d’autres genres sentimentaux parallelement a la comedie ?
G. F. : Un courant mineur qui sera etouffe via le succes de Moliere merite, Indeniablement, d’etre mentionne. Il s’agit d’la comedie sentimentale inventee via Corneille en 1629/1630, elle aussi inspiree d’un genre antique, celui d’une pastorale tres en vogue dans l’Italie en sites russes de rencontres Renaissance. Elle repond egalement a un schema precis – j’aime qui me fuit et je fuis qui m’aime – et prend des bergers et bergeres Afin de personnages. L’idee formidable de Corneille, est de transposer l’intrigue de sa Melite dans le monde urbain de jeunes Parisiens. Au passage, il invente la « jeune amoureuse », donnant ainsi au caractere feminin une consistance qu’il n’avait gui?re jusqu’ici, reduite a un objet d’amour et non valorisee tel un thi?me aimant. Il arrivait aussi que, dans quelques pieces, la petit fille n’apparaisse nullement sur scene…
Dans la comedie sentimentale, toutes les formes d’amour paraissent exprimees : le desir, la jalousie, le chagrin, l’espoir, le contentement – car chacun degote in fine une chacune !.
Et la tragedie ?
G. F. : La i nouveau, en France – contrairement a l’Angleterre par exemple – l’amour reste le c?ur dramatique d’une tragedie. Exceptees Esther et Athalie, ses deux dernieres pieces ecrites Afin de les Demoiselles de Saint-Cyr et exaltant la religion et Notre ferveur mystique, les tragedies de Racine ne semblent qu’amour et paroles d’amour. L’influence une pastorale n’est jamais non plus absente, si l’on songe a Andromaque ou Notre chaine du « j’aime qui ne m’aime pas et inversement » constitue le n?ud du conflit. Dans la tragedie, l’amour reste une passion nefaste qui conduit les personnages a leur chute. Titus met 5 actes sublimes a expliquer a Berenice qu’il ne peut l’epouser et Phedre a comprendre que Notre fond seule la delivrera de sa passion Afin de Hippolyte…
L’amour en tragedies est-il forcement aussi desespere ?
G. F. : Pour qu’il triomphe, il faudra que la tragedie soit une… tragicomedie. Encore une fois une invention italienne : vous y trouvez le « personnel » dramatique d’une tragedie mais l’intrigue, riche de perils et dilemmes, se deroule au sein d’ un temps plus long (la tragedie commence, celle-ci, deux heures juste avant votre chute finale) et, surtout, bien se termine par un mariage, comme dans la comedie. En France, la plus celebre est Notre Cid de Corneille, dans laquelle les deux amants devraient etre irreconciliables puisque Rodrigue est le meurtrier du pere de Chimene. Mais, sur un coup de genie, Corneille reussit le denouement impossible : la critique en fut offusquee et l’auditoire ravi !
Comment, qu’il soit tragique ou comique, l’amour s’exprime-t-il dans la scene ?
G. F. : La puissance du texte amoureux tient veritablement au genie de l’auteur. A l’image de leurs contemporains, Moliere, Corneille et Racine usent d’un vocabulaire assez stereotype (fleches, flammes et feux en passion, pourquoi pas) et d’une syntaxe simple. Mais la musique de leurs vers ou de leur prose fait toute la difference. J’aime citer ces deux vers de Surena, derniere et magnifique tragedie de Corneille, qui fut d’ailleurs un echec. Eurydice, qui kiffe Surena mais est promise a un autre, prononcent ces mots si beaux :
« Je veux sans que la mort ose me secourir,
Toujours aimer, i chaque fois souffrir, toujours mourir ».